Ecco che ne scrive, su Atabula, Gil Galasso:
Réinventer le service en salle en utilisant l’histoire de l’art. Comment Le service en salle serait-il un art ? Dans cette tribune libre, Gil Galasso prend position, avec force, talent et arguments.
Il y a quelques mois, un dirigeant de l’UMIH 64 et maître restaurateur me demandait de lire le programme du nouveau Brevet professionnel Arts du Service et Commercialisation en Restauration.
La profession avait donc décidé de maintenir ce mot « art » dans l’intitulé même du diplôme, comme c’est encore le cas pour le BTS hôtellerie restauration qui s’intitule art culinaire, art de la table et du service. Le service serait-il donc un art ? Nous savons que le mot art revêt plusieurs significations selon les époques. Tiré du mot τέχνη (techne) grec, il désigne une technique, puis une science, enfin un art au sens moderne du terme, c’est ce que l’on nomme « les beaux arts ». Cependant le service en salle est loin d’être assimilé à la danse, la musique ou la peinture, et reste toujours perçu comme un artisanat au même titre que la cuisine, c’est-à-dire à un ensemble de gestes et de postures professionnelles. Quels maîtres d’hôtels feront preuve d’audace, quitte à être incompris de leurs confrères, pour créer un courant baroque dans le service en salle ? Pourtant, plusieurs signes nous prouvent que le geste de service en salle possède intrinsèquement toutes les qualités pour être inscrit au patrimoine des beaux-arts. Pour réaliser enfin notre émancipation, il faudra en passer par une révolution, et affronter une nouvelle querelle des anciens et des modernes, comme ça a toujours été le cas dans l’histoire de l’art. Par exemple, au XVIIIème siècle, en France, les théories de Hume sur le bon goût sont liées à la musique officielle, celle de Rameau, qui écrit même un traité expliquant que l’harmonie est la source du beau. C’est alors qu’arrive à Paris une troupe d’italiens, avec à leur tête un certain Eustache Bambini, qui proposent une autre musique, radicalement différente puisque c’est la mélodie qui en est le moteur. Un mot va apparaître alors pour désigner ce nouveau courant, un mot qui jusqu’alors désignait les perles d’huîtres imparfaitement sphériques, qui sont un peu décalées de la norme mais qui sont justement appréciées pour cette différence, ce sera le baroque. Geste de service à la Bouitte, chez René et Maxime Meilleur Quels maîtres d’hôtels feront preuve d’audace, quitte à être incompris de leurs confrères, pour créer un courant baroque dans le service en salle ? Ce n’est pas illusoire. Nos amis cuisiniers n’hésitent pas. Souvenons-nous de cette « nouvelle cuisine » des années 70. Il ne s’agit en fait que d’une notion récupérée par Henri Gault et Christian Millau à partir de plusieurs mouvements antérieurs dans l’histoire de la gastronomie. En réalité cette nouvelle cuisine n’est qu’une compilation, puis une synthèse, de créations de grands chefs tous « baroques » pour leur époque. Nous devons engager nos gestes dans une démarche d’artification systématique, afin d’assurer la crédibilité que nous recherchons depuis des années. Pour réussir cette évolution, ma profession doit pouvoir se débarrasser de deux boulets : l’état de servitude volontaire, très bien décrit par La Boétie notamment, et le sophisme trop présent dans l’esprit de certains maîtres d’hôtels. Trop de belles paroles et pas assez d’actes. Les chefs cuisiniers sont prêts à accueillir des gestes, des recettes de salle, des découpes, mais il faut leur prouver que nous allons apporter un plus qui sera au moins d’un niveau équivalent à leur cuisine ou leur pâtisserie. Nous ne pouvons plus proposer à un restaurant étoilé des recettes d’un autre temps ou des découpes dont la technicité maladroite fera baisser d’un niveau la qualité de l’assiette proposée. Nous devons engager nos gestes dans une démarche d’artification systématique, afin d’assurer la crédibilité que nous recherchons depuis des années. Commençons par des gestes simples, des gestes qui seront utiles aux chefs, comme celui de verser une sauce, un jus, pour compléter une assiette. Beaucoup de restaurateurs confient ce geste à l’équipe de salle, saisissons-nous de cette opportunité comme une première marche. J’ai proposé un geste à partir d’une méthode de danse classique, puis l’ai présenté à deux professeures de danse qui l’ont validé comme étant gracieux. Les chefs seront heureux que nous apportions notre aide dans la finition d’assiettes qui nécessitent, parfois, plus de 20 gestes différents avant d’être envoyées. Intéressons-nous ensuite aux découpes en salle, plus encore qu’aux flambages. Beaucoup de restaurants traditionnels proposent, ou aimeraient proposer une volaille entière. Mais les maîtres d’hôtels effectuent une découpe d’ordre purement technique. Essayons d’inscrire cette découpe dans une démarche artistique. Il suffit pour cela de se replonger dans l’histoire de notre profession, en particulier la période précédant les cours de Versailles. Un personnage y tient une place toute particulière, l’Ecuyer tranchant, qui fait l’admiration des nobles. Il est capable de découper une volaille intégralement à la volée, c’est-à-dire en l’air, au bout d’une fourchette, d’un geste élégant et rapide. A partir de planches anciennes, j’ai réussi à reproduire ce geste et déjà, en concours professionnel, il a donné la victoire à un jeune qui était opposé à des compétiteurs utilisant des techniques contemporaines (lien vers cet article) Interprétons les écrits de Nietzche sur les forces réactives. Elles peuvent se développer dans le monde sans avoir besoin de s’opposer à d’autres forces. Suivons cette vision de l’esthétique. Le véritable artiste pose des valeurs sans discuter. Nul besoin de démontrer. Ainsi, l’artiste maître d’hôtel pose des valeurs sans avoir besoin de réfuter les formes d’art antérieures, ni la cuisine, ni son chef. Il apporte un geste exceptionnel lors de la découpe d’une viande, qui sera apprécié des clients sans rien retirer au prestige du cuisinier. L’équation de réussite de cette artification est de faire preuve : • D’originalité : que les maîtres d’hôtels soient uniques et reconnus comme tels. • De talent : un client doit percevoir au travers de la dextérité, de la grâce, de l’élégance du geste le talent particulier du maître d’hôtel trancheur, qui n’est pas un simple technicien. • De génie. Selon Nietzche, le spectateur, notre client, percevra ce génie quand il se dira « ici je ne peux rivaliser, je suis incapable de réaliser ce geste». • De créativité : une mise en scène qui ne sera pas uniquement culinaire va éloigner le client de son quotidien, via des postures, un discours, une scénographie exceptionnelle. • De maitrise de l’histoire de notre profession. Chaque geste, chaque découpe, doit démontrer qu’elle est une synthèse d’une longue histoire, qu’elle prend racine dans le passé. Pour illustrer ce concept, présentons un tableau de Manet (Olympia), qui, en participant à la création du mouvement impressionniste, témoigne aussi de sa maîtrise de l’histoire de son art en faisant référence au Titien (Venus d’Urbino). • D’une fierté sincère de pratiquer son art. • D’une capacité à transmettre une véritable émotion lors de la réalisation de son geste. Gil Galasso