Da Atabula ecco un invitante reportage di un viaggio da Venezia a Parigi sul treno Simplon Orient Express. À bord du Venice Simplon-Orient-Express L’Orient-Express est un mythe vivant. Et roulant. Il y a deux ans, l’exposition qui lui était consacrée a drainé 260 000 fous du rail et de beaux wagons.
De Venise à Paris, histoire d’un trajet rythmé non seulement par les paysages et les rencontres, mais également par des repas qui « valent le voyage ».
Départ de Venise 11h00. Le monstre bleuté de 1 000 tonnes qui trône fièrement gare Santa Lucia nous tend les bras après une journée à déambuler dans Venise parapluie en main. Adieu hôtel Belle Epoque, vendeurs de perches à selfie bon marché et, sur les conseils de l’hôtelier malhonnête (ou ayant mauvais goût, c’est selon), médiocres salades de poulpe. Départ à 11h01 précises sous le regard amusé et impressionné de quelques locaux et visiteurs de passage. Internet n’ayant pas encore inondé les couloirs du Venice Simplon-Orient-Express, rares sont les passe-temps qui s’offrent au voyageur. Lire. Observer les fugaces paysages. Converser avec sa femme, sa maîtresse ou qui sais-je encore. Lire de nouveau. Manger. Quatre fois par jour. Précisément notre objectif. Aucun but précis sinon celui d’avaler des milliers de calories quand le colosse aux 17 voitures bouffe du kilomètres sans se presser. A ce rythme, on le prendrait d’ailleurs volontiers pour un vulgaire train régional. A 13 heures sonnantes, à l’heure où de sublimes paysages de montagnes défilent avant la ville de Trento: asperges blanches et vertes sur leurs veloutés, mozzarella de buffala et son toast, sots l’y laisses accompagnés d’une brunoise de tomates au basilic. Voilà pour l’entrée. La suite : saint-pierre poêlé, haricots au beurre, pommes de terre persillées et jus aux essences de carottes et d’oranges avant la panna cotta méli-mélo de fruits rouges et le cannelé au miel d’acacia. On est moins ici dans le registre gastro que brasserie luxe mais ce déjeuner ne boxe pas si mal. Doit-on rappeler que le chef de cuisine Christian Bodiguel, ses deux sous-chefs Igor, 44 ans dont 10 ans de maison, et le jeune Alex, 33 ans dont le quart passé aux fourneaux internes, et le reste de la brigade sévissent ensemble dans 12 m2 ? Certes, certains cuisiniers sur terre ferme sont tout aussi mal lotis – 0,76 m2 par personne au Frantzén à Stockholm, 2,8 au Châteaubriand à Paris – mais eux n’ont pas à gérer l’agitation ferroviaire permanente. Quant aux maîtres d’hôtel, disons simplement qu’ils excellent dans l’art de rentrer le ventre, eux qui naviguent sans cesse d’étroits couloirs en minuscules espaces. Salle de restaurant au diner Repus, nous attaquerons à peine la tarte aux poires servie en chambre quelques heures plus tard pour pleinement se concentrer sur le dîner, dont le menu évolue trois fois l’an. Un changement du à la saisonnalité des produits respectée et qui vise à satisfaire les ultra-réguliers, parmi lesquels un dandy trentenaire qui s’est déjà offert une dizaine de voyages quand un autre réserve ses billets 7 à 8 fois dans l’année. Ces utilisateurs compulsifs mis à part, qui sont-ils ces clients nostalgiques prêts à claquer quatre SMIC pour une traversée d’une journée à deux ? Beaucoup de britanniques (60 à 70%), des américains, japonais et russes. Des futurs mariés (30 demandes chaque année). Des Français aussi. A l’exception des voyageuses, aucune femme employée à bord si ce n’est Silvia Cerroni, directrice du train. L’unique membre du personnel qui s’attable quotidiennement au même titre que les happy fews présents. Table dressée A nouveau, le train s’immobilise. Nous sommes à Innsbruck, Autriche. Les passagers ont 15 minutes pour se détendre, fumer une cigarette ou, singulière coquetterie, deviner quel opérateur télécom local s’affichera sur les téléphones mobiles pas interdits à l’inverse des ordinateurs, signe trop visible de l’époque. Nous opterons pour une toute autre option qui n’eut pas l’air de plaire : une visite éclair de la gare et de ses boutiques en compagnie du chef concierge, Wolfgang. Qu’il est étrange de déambuler avec cet élégant aux mains gantées au milieu d’un supermarché local à la recherche de spécialités du coin : viandes fumées, liqueurs, gaufrettes typiques… Alors que l’on nous somme de se presser, nous marchons au contraire à pas lents. Pour faire durer le plaisir. Et se jouer du contrôle du temps. Officieusement, le Venice Simplon-Orient-Express est en capacité d’attendre ses luxueux voyageurs jusqu’à dix à douze minutes après son heure de départ prévue avant de poursuivre son itinéraire qu’il pourra rattraper (au-delà, les voyageurs sont invités à rejoindre leur cabine au prochain arrêt, en taxi). Retarder un train, le faire patienter. Luxe ultime dans une société minutée. Au détour des conversations, on apprend que la politesse n’est pas l’unique qualité de Wolfgang : c’est aussi un gastronome averti. En civil à Paris, où il réside, l’homme fait son marché à Barbès, connaît le meilleur canard laqué de la capitale (le Tai Yien, rue de Belleville) et fréquente assidument Chez Xu, cantine chinoise prisée des expatriés. Il faudra quelques dizaines de minutes supplémentaires pour qu’il révèle son adresse de prédilection à Vienne (le Rebhuhn), sa ville natale. Mis en confiance, il nous dévoilera jusqu’à son péché mignon : les Schlagobers, sortes de cornets à la crème fouettée. Alex, sous-chef A l’heure du dîner où robes beiges et smokings clinquants habillent les salles de restaurants, sur le passe, les assiettes sont enlevées une ou à une à un rythme soutenu. C’est qu’ici, on fait jusqu’à 200 couverts par service. Si la gastronomie à bord parle français, la salle est résolument à l’heure italienne avec Vito, Marco, Paolo et leur uniforme clair-obscur brodé d’or. Au programme : filets de bar et rouget sur une fondue de fenouil, carré d’agneau de pré-salé rôti dans une croûte aux fines herbes, cornet de piquillos au boulgour, panaché de courgettes, d’aubergines et d’échalotes confites, sélection du maître fromager (tomme de Savoie, camembert, comté , roquefort, Valençay, le tout accompagné de cinq petits pains différents et de confitures de figues et de coings), gâteau de chocolat gianduja et crème anglaise aux gousses de vanille Bourbon et mignardises. En cuisine justement, l’animation grimpe. C’est qu’un riche voyageur vient de commander le caviar beluga et ses blinis, facturé 490 €. « Avec la crise, on n’en a sorti que 4 ou 5 depuis le début de la saison » lance l’un des membres de la brigade. La nuit a depuis longtemps pénétré le train et quelques irréductibles aux tenues impeccables se prélassent au centre du bar à champagne (11 grands noms à la carte, du Taittinger à 115 € au Krug millésime 98 à 410 €). D’autres sirotent des cocktails dont l’origine et la provenance est datée : Negronin, inventée au 1919 au Caffé Casoni à Florence, le Grand Mimosa, 1925 au Ritz, le Kir Royal, par Felix Adrien Kir à Dijon, l’Old Fashion au Pendennis Club dans le Kentucky, le Mary PickFord à l’Hotel Sevilla de Cuba… Dressage d’une entrée Le lendemain, à moins d’une heure de l’arrivée, la vue depuis les cabines alterne entre chantiers inesthétiques et gares de périphérie sans charme. Devant le regard tantôt fatigué tantôt ébahi des travailleurs à quai est servi le petit déjeuner en chambre. Sans nul doute un désastre, l’unique de notre croisière sur rails. Au chapitre What Makes a Five star Hotel Great de son livre, l’ancien repreneur de l’Orient-Express James Sherwood expliquait qu’il aime à juger l’établissement où il se trouve par les seules qualités du jus d’orange et croissants. Le premier fut non pressé, les seconds tristement banals. Gare de l’Est. Le train ralentit. Ici s’arrête le voyage. Fièrement, le passager peut s’exclamer. « J’y étais ! ». Georges Boyer, aussi, y était. Journaliste au Figaro, il fut de la traversée inaugurale du 20 octobre 1883. Le trajet dura alors une douzaine jours de Paris jusqu’à Pesth, Szegedin, Giurgewo, Varna. Des noms de cités qui n’existent plus sinon sous leur forme actuelle et moderne. Istanbul s’appelait alors Constantinople. Les bagages étaient enlevés à domicile. Une autre époque. Un mythe que le Venice Simplon-Orient-Express tente de faire revivre à grands renforts d’uniformes, d’argenterie et de «Certainly Sir », à la manière de ces batailles napoléoniennes chaque année simulées à nouveau. Force est de constater que cela fonctionne plutôt bien. Ezéchiel Zerah / Photos Alban Couturier